Espace-CPGERésumé/dissertation

Texte à résumer dans l’esprit de CNC, CCINP, E3A(9)(Thème: le travail)

Je suis convaincue pourtant que l’on comprend mieux l’orientation managériale actuelle en gardant à l’esprit les enjeux tels que Taylor et Ford les posaient et cherchaient à les traiter. Si les solutions changent avec l’évolution de la nature du travail et de la société, les objectifs restent les mêmes : il s’agit de trouver les moyens de contraindre les employés à travailler selon les normes les plus rentables du point de vue de leur employeur.

Rappelons clairement le problème. Le temps (de travail) du salarié appartient à son employeur qui l’a acheté dans le cadre du contrat de travail (contrat de subordination, comme on l’a dit). Le salarié a accepté, par les termes de ce contrat, de se déposséder du libre usage de son propre temps, il doit accepter de travailler en fonction des consignes et objectifs fixés par son employeur. Comment refuser de voir qu’il y a là un contentieux inépuisable (Linhart, Moutet, 2006) ? Nous l’avons évoqué, chaque personne au travail a ses propres intérêts sur lesquels elle doit veiller, intérêts financiers mais aussi de gestion de sa santé, à savoir, s’économiser physiquement et psychiquement pour ne pas s’épuiser au travail et pouvoir durer. Chaque personne a également un point de vue sur la manière dont elle souhaiterait s’y prendre pour faire son travail, en fonction de son métier, de sa professionnalité, de son expérience, de sa sensibilité, de sa personnalité, de son rapport au monde, de son éthique personnelle. Mais l’employeur veut que les personnes qu’il paye, dont il a acheté le temps de travail et les savoirs, travaillent de façon homogène et de manière à atteindre la productivité, la qualité qui lui permettent les rentabilité et profitabilité les plus élevées. Il doit donc trouver la forme d’organisation du travail qui y conduit et le discours pour la justifier, la légitimer car une fois de plus, en démocratie politique, il est inconvenant que des individus soient contraints de renoncer au libre usage d’eux-mêmes, à leur libre arbitre, pour se soumettre à une logique, une volonté qui leur est extérieure.

Dans l’argumentation de Taylor voisinent plusieurs registres. Il y a tout d’abord celui de la paix sociale, de la réconciliation entre ouvriers et patrons. Taylor se targue en effet de réconcilier tout le monde. Il part du constat d’une lutte stérile entre patrons et ouvriers. Il épingle ainsi la « flânerie systématique des ouvriers » qui n’est, selon lui, que la conséquence d’une mésentente ; il se veut juste et mesuré dans l’analyse qu’il en fait : « La plus grande part de flânerie systématique est accomplie par des ouvriers qui ont pour objectif raisonné de maintenir leurs employeurs dans l’ignorance de la qualité de travail qu’ils peuvent normalement effectuer » (p. 29). En effet, si le patron découvre que l’ouvrier est « capable de faire plus de travail qu’actuellement, il trouvera tôt ou tard un moyen de l’obliger à le faire en n’augmentant pas son gain ou en l’augmentant très peu ». Taylor comprend parfaitement que les ouvriers se situent dans un rapport de forces, un conflit d’intérêts bien réel, bien concret avec leur patron. Et il en déplore les conséquences (p. 31) : « On considère le patron comme un ennemi, ou tout au moins comme un homme n’ayant pas les mêmes intérêts que soi, et la confiance mutuelle qui devrait exister entre un chef et ses hommes, l’enthousiasme, le sentiment que les uns et les autres travaillent dans le même but, cessent d’exister. Il en découle que les bénéfices réciproques disparaissent entièrement. 

Le recours à la science permet de faire une nouvelle « répartition de la responsabilité du travail entre la direction et les ouvriers, plus équitable que celle que nous constatons dans les modes courants de direction », écrit Taylor (p. 48). Il s’agit en réalité d’un pur transfert de la responsabilité des ouvriers vers la direction : ce qui n’était pas équitable auparavant, c’est-à-dire la maîtrise unilatérale de leur métier par les ouvriers, le devient dès lors que, cette fois, ce sont les patrons qui détiennent à eux seuls cette responsabilité que leur confère l’application de la science.

En fat, ce qu’il met en place est une machine de guerre redoutable contre les ouvriers. Il les dépossède sciemment et systématiquement de ce qui constitue leur force, leur identité, et leur pouvoir : leur métier et leurs connaissances. Il a, à l’évidence, choisi son camp, même s’il prétend imposer des devoirs et responsabilités aux directions. Son approche fonde les bases d’une domination patronale sans appel. Il mesure bien ce à quoi il s’attaque, il ne cherche pas à le cacher ; mais il veut démontrer que c’est une nécessité, pour le bien de tous. « La connaissance que chaque ouvrier a de son métier est le plus important de ses biens. C’est le grand capital de sa vie » (p. 76). Mais il y voit une ressource, un atout des ouvriers préjudiciable à la productivité. Les patrons dépendent de leurs ouvriers : il vaut mieux l’inverse pour le bien de tous.»

Daniele Linhart, La Comédie humaine du travail De la déshumanisation taylorienne a la sur-humanisation managériale.

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