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Étude de texte : « nous ne sommes pas (…) problème » p.p. 29-31

Situation :

Le projet philosophique de Nietzsche ne cesse de prendre de l’ampleur avec les autres paragraphes de la préface. En effet, quand la  maladie s’intensifie pour devenir une  douleur aigue, l’esprit rejoint le corps pour former une seule unité qui questionne et qui pense.

Problématique :

Comment la douleur, qui d’habitude assomme le corps, devient-elle libératrice d’une pensée européenne malade ?

Les axes de lecture :

  • La douleur est la source de la pensée,
  • La douleur est libératrice d’une maladie,
  • La douleur est un accès à la vraie  vie.

Développement :

Il est vrai que la douleur est la source de la pensée. En effet, Nietzsche affirme « nous devons constamment enfanter nos pensées à partir de notre douleur ». Autrement dit le philosophe se situe à l’opposé de la philosophie classique qui vénère l’esprit et méprise le corps. La douleur est transformatrice : elle est cet élan aphrodisiaque qui pousse à se surmonter. Ainsi en attribuant à la douleur cet élan créateur, Nietzsche  rejoint la source de la pensée grecque qui inscrit la pensée dans la sphère de la douleur. En effet, selon la légende, Zeus averti par l’oracle que l’enfant qui naitra de lui prendra sa place,  horrifié le dieu des dieux dévore Métis, quelques mois plus tard, il est saisi d’une migraine épouvantable, alors il demande au dieu des forgerons, Héphaïstos de lui ouvrir le crâne pour faire sortir le démon qui l’irrite. Une femme en sortit casquée et armée, c’est la déesse Athéna, déesse de la sagesse.  Cependant Nietzsche en retournant à la source grecque s’en démarque en allouant à la douleur une autre utilité : elle est libératrice.

La douleur, affirme Nietzsche, est « l’ultime libératrice de l’esprit ». En effet, le philosophe suit son raisonnement en justifiant cet affranchissement  par le grand soupçon, c’est-à-dire que seul l’état d’une  souffrance ultime  est l’occasion  pour l’homme  de redécouvrir sa lucidité dans le doute, car c’est grâce à la douleur irritable  que les chemins de la philosophie s’étourdissent et deviennent  sinueux. Bref, toute la littérature  cartésienne qui cogite, qui doute, qui soupçonne pour atteindre une éventuelle vérité trouve sa place dans cette phrase : « en ce qu’elle est le professeur du grand soupçon ». Néanmoins, le doute nietzschéen n’est pas une quête de la vérité, c’est  un doute qui se prend pour sa propre finalité. Ainsi tout le tragique de l’existence fait de l’incertitude douloureuse une libération du conformisme morale, philosophique et culturel pour atteindre la vie vivante.

Toutefois, la douleur devint une voie royale vers la vraie vie, la vie intensifiée. Cette vie qui ressemble à l’expérience extatique du nirvana[1] oriental n’est pas  du tout un repos, le taon[2] socratique de l’interrogation l’irrite pour l’approfondir, les mouvements tectoniques du sol de la mise en question la rend plus vigilante, plus vivante, car derrière la quête de la vérité au détriment du doute, la maladie et la mort guettent l’humanité.  L’histoire a donné, malheureusement, raison à cette quête fallacieuse en célébrant la victoire d’œdipe sur le Sphinx pour enfermer l’humanité dans une certitude mortelle. Nietzsche affirme dans  Par-delà  bien et  mal : «Le problème de la valeur du vrai s’est présenté à nous, — ou bien est-ce nous qui nous sommes présentés à ce problème ? Qui de nous ici est Œdipe ? Qui le Sphinx ? C’est, comme il semble, un véritable rendez-vous de problèmes et de questions »

Conclusion :

Entre le doute et la certitude, Nietzsche a choisi le doute, non comme un cheminement vers la vérité, car le philosophe perspectiviste n’y voit qu’une quête morbide de l’idéal, mais un doute qui doute dans la douleur du sevrage d’un passé humaniste. Le doute nietzschéen est une victoire du Sphinx interrogateur sur la platitude œdipienne.


[1] Dans le bouddhisme, Extinction du désir humain, entraînant la fin du cycle des naissances et des morts. État de béatitude, de sérénité, de tranquillité complète.

[2] « Vous ne trouverez pas facilement un autre homme comme moi, un homme somme toute – et je le dis au risque de paraître ridicule – attaché à la cité par le dieu, comme le serait un taon au « anc d’un cheval de grande taille et de bonne race, mais qui se montrerait un peu mou en raison même de sa taille et qui aurait besoin d’être réveillé par l’insecte. »

 PLATON, Apologie de Socrate

Le cheval, c’est la cité à laquelle Socrate est attaché, Athènes, ce sont ces concitoyens. En affirmant que ce cheval est de grande taille et de bonne race, Socrate précise que ses questions n’ont pas pour but de remettre en question les qualités mêmes de ces concitoyens. Il s’agit simplement de s’attaquer à leur attitude : le fait que le cheval se montre un peu mou signifie que Socrate trouve ses concitoyens un peu endormis sur leurs préjugés, sur des idées qu’ils prennent pour évidentes. Socrate cherche à les réveiller, à faire en sorte qu’ils prennent conscience que certaines de leurs croyances ne sont pas fondées, et qu’ils ne peuvent pas se contenter d’affirmer ce qu’ils pensent sans se questionner et se demander s’ils ont raison de penser ainsi. Or le taon est justement l’animal qui va piquer le cheval et l’empêcher de s’endormir : c’est par ces questions que Socrate cherche à provoquer chez son interlocuteur une réflexion, un questionnement.

Travail réalisé par M. Chmiti CHERKI

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