Espace-CPGERésumé/dissertation

Texte à résumer, format CNC, CCINP et E3A (06)(Thème:faire croire)

Texte à résumer

« L’imaginaire du « machiavélisme » voit en effet dans la politique l’ensemble des procédés et des artifices qui assurent la maîtrise du pouvoir sur ses sujets : le calcul, la ruse, le mensonge, tous les stratagèmes et agissements pervers qui font l’essentiel des pratiques politiques. Cet imaginaire ne se contente pas de lier la politique à des conduites intrinsèquement mauvaises. Il ne se contente pas d’énoncer, ce qui est un vaste lieu commun, que l’art de gouverner est avant tout celui de tromper les hommes et que l’exercice de la domination entraîne, par contrainte ou captation, les divers modes de soumission qui vont de l’obéissance forcée à l’enchantement de la servitude volontaire. Il va plus loin : il installe le pouvoir dans une position d’extériorité, d’étrangeté radicale par rapport à l’humanité commune. Il nourrit le fantasme d’une toute-puissance impersonnelle et abstraite des gouvernants face à l’impuissance et au dénuement des gouvernés. La distance qui sépare les premiers des seconds est perçue comme infranchissable : « eux » et « nous », la France d’ne haut vs. La France d’en bas.

Cet imaginaire du machiavélisme est au fond le soubassement implicite d’une mise en accusation radicale du pouvoir et de la politique. Car ce qui est mis en cause, ce ne sont pas seulement les moyens mais aussi les fins : le pouvoir, certes, corrompt mais, de surcroît, la politique elle-même est pensée comme une activité intrinsèquement malfaisante. Cette représentation collective qui, encore une fois, a peu à voir avec la pensée politique de Machiavel, véhicule ainsi deux présupposés dont je pense qu’ils sont loin d’avoir disparu, même se leurs expressions et leurs modalités se sont transformées.

Le premier est que le pouvoir est intrinsèquement mauvais, lié au mal : son exercice est un ensemble de stratagèmes et le principe du secret commande son action. D’où la suspicion et la défiance que l’on entretient à son égard, défiance quasi structurelle et qui est le terreau implicite du discrédit des politiques (par exemple dans l’expression « politique politicienne »).

Le second – qui me paraît encore plus important – est que cette représentation du pouvoir installe ceux qui l’exercent dans une position d’extériorité, voire de maîtrise absolue, à une distance infranchissable des dominés, voués quant à eux à l’impuissance et à la soumission parce que leur destin leur échappe. Toute-puissance des gouvernants vs. Impuissance des gouvernés. Possession d’un  côté, privation de l’autre. En tout cas, manière de réifier, de chosifier l’essence du pouvoir : en le situant au lieu du mal, du mensonge et du secret et surtout hors de portée des dominés. Les populismes ne se privent pas à l’heure actuelle de jouer sur ce ressort.

Bien évidemment, nous ne sommes plus à l’époque de Machiavel et la question du secret et du mensonge s’est déplacée depuis que la philosophie des Lumières a revendiqué la lumière du « public » et de l’ « espace public » contre les secrets de la domination. Mais on pourrait facilement montrer que jusqu’à aujourd’hui, dans des conditions différentes- parce que le mensonge politique moderne ne porte plus seulement sur des secrets mais sur des réalités connues de tous et exposées à la visibilité telles que la réécriture de l’histoire, la fabrication des images et toutes les formes de simulations instrumentales – cette représentation « latente » travaille toujours l’imaginaire des sociétés contemporaines. Elle est en particulier l’une des sources de la tentation « complotiste ».

En réalité, Machiavel n’est pas machiavélique, il est machiavélien. Il ne dit pas que le pouvoir est essentiellement trompeur ni que le prince est un imposteur mais qu’il existe un processus complexe, une interaction réciproque entre les dominants et les dominés, entre le prince et ses sujets. C’est un rapport de force si l’on veut, à condition de l’entendre en un sens très large. Plus que d’un affrontement ou un antagonisme, il s’agit d’une rencontre. Le prince n’est pas un manipulateur car il se présente à ses sujets à travers l’image qu’il leur renvoie et dont il n’est pas absolument le maître. Ses qualités, qu’elles soient vraies ou supposées telles, sont offertes à la vision des hommes et vouées à l’ambigüité. L’apparente toute-puissance du prince est en réalité suspendue à la reconnaissance que lui accordent ses sujets. Parce que son image est aussitôt livrée au jugement public, sa maîtrise est instable, elle tout autant une dépendance ou plutôt une entre-dépendance. Le pouvoir comme l’écrivait Merleau-Ponty, n’est donc jamais fondé. Il ne contraint pas mais il ne persuade pas non plus : il « circonvient ». L’action est liée au paraître car elle s’opère dans le visible. Parce que la politique engage des actions qui s’exercent dans des conditions historiques déterminées et qui, surtout, se déploient dans la sphère du visible, elle se joue dans un espace public d’apparition où les hommes agissent en étant vus, entendus et reconnus par d’autres. Cette dimension « phénoménale » de la politique soumet les gouvernants et les hommes de pouvoir à la représentation qu’ils donnent d’eux-mêmes. De ce fait, elle bat en brèche aussi bien le fantasme de leur toute-puissance que celui de la radicale impuissance des gouvernés. »

(Myriam Revault d’Allonnes, Le Pouvoir : entre secrets, mensonges et vérités.)    


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