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Texte à résumer, format Centrale-Supélec (2)

Deuxième des grands renoncements typiques imposés à l’enfant, la castration orale signifie la privation imposée au bébé de ce qui est pour lui le cannibalisme vis-à-vis de sa mère : c’est-à-dire le sevrage, et aussi l’empêchement de consommer ce qui serait poison mortifère pour son corps, soit l’interdit de manger ce qui n’est pas alimentaire, ce qui serait dangereux pour la santé ou la vie. Cette castration (sevrage), lorsqu’elle est judicieusement donnée, aboutit au désir et à la possibilité de parler, et donc à la découverte de nouveaux moyens de communication, dans des plaisirs différents, avec des objets dont l’incorporation n’est pas ou plus possible. Tous ces objets sont des supports de transfert du sein lactifère ou du lait aspiré (tété au sein ou à la tétine du biberon) pour un plaisir encore plus grand, partagé avec la puissance tutélaire, avec la mère, le père, les familiers.

Le sevrage, cette castration du bébé, implique de la mère qu’elle aussi accepte la rupture du corps à corps où l’enfant était, passé du sein interne aux seins lactifères et au portage, totalement dépendant de sa présence physique à elle. Cette castration orale de la mère implique qu’elle-même soit capable de communication avec son enfant autrement qu’en lui donnant de l’alimentation, en lui prenant ses excréments et en le dévorant de baisers et de caresses : par paroles et par gestes, qui sont langage. La castration orale et de l’enfant, du bébé sevré, et de la mère, elle aussi sevrée de sa relation érotique, donnante, à la bouche de l’enfant, comme aussi de sa relation érotique tactile et préhensive au siège de celui-ci, se prouve par le fait que la mère prend elle-même un plaisir encore plus grand à parler à son enfant, à guider ses phonèmes jusqu’à ce qu’ils deviennent parfaits dans la langue maternelle, autant que sa motricité pour ce qui est de prendre et jeter les objets qu’elle donne et ramasse, en un début de langage moteur. L’enfant peut alors symboliser les pulsions orales et anales dans un comportement langagier parce que sa mère est heureuse de le voir capable de communiquer et avec elle et avec d’autres qu’elle-même ; il perçoit le plaisir qu’elle éprouve à assister à sa joie de s’identifier à elle, dans ses échanges langagiers ludiques avec d’autres personnes. Ce sont des possibilités de relation symbolique que cette castration a promues dans l’inconscient et le psychisme de son enfant.

Il ne faut pas oublier que le corps à corps d’une mère pour son bébé est érotisant. Il est nécessaire, d’ailleurs, que cela soit : cela fait partie de la relation mère-enfant. Mais le sevrage doit venir y marquer une étape différente, de mutation, de communication pour le plaisir, à distance du corps à corps : une communication gestuelle qui n’est plus possession de l’enfant, et qui le laisse s’identifier à sa mère dans sa relation aux autres et à l’environnement.

L’important est donc qu’elle laisse son enfant être aussi heureux dans les bras d’autrui que dans les siens, qu’elle le laisse entrer en sourire et en expression langagière (essais phonématiques) avec d’autres qu’elle.

D’un point de vue pulsionnel, objectal, la castration orale est pour l’enfant la séparation d’avec une partie de lui-même qui se trouvait dans le corps de la mère : le lait que lui, l’enfant, avait fait sourdre dans les seins de sa mère. Il se sépare de cet objet partiel, le sein de la mère, mais aussi de cette première nourriture lactée, pour s’ouvrir et s’initier à une nourriture variée et solide. Il renonce à l’illusion du cannibalisme vis-à-vis de cet objet partiel qui est le sein de la mère. Il reporte un temps, si la mère n’est pas vigilante, ses pulsions cannibales sur ses propres mains, en suçant son pouce ou son poing, avec l’illusion qu’il continue ainsi d’être au sein de sa mère. Il y a un sevrage manqué, en partie tout au moins, chez l’enfant qui continue de s’illusionner d’une relation à la mère en établissant une relation auto-érotique entre sa bouche et ses mains. Il faut bien comprendre que le lait est d’abord le lait de l’enfant, avec lequel il est en communication, en même temps qu’il le fait sourdre dans le corps de la mère par sa succion.

Lorsqu’il est sevré, il est sevré de la nourriture qu’il avait fait élaborer lui-même dans la mère et qui était sienne, en même temps que sa bouche est privée de la relation tactile au téton et au sein, objet partiel de la mère, mais qu’il croyait être sien. Et il comble le trou béant que crée l’absence du sein dans sa bouche, en y mettant le pouce. Il y prend un plaisir dépourvu de nourriture, qui est aussi plaisir de s’assurer que sa bouche, elle, n’est pas partie.

C’est justement ce que je fais étudier aux grands enfants suceurs de pouce qui veulent s’en « guérir » ; je leur demande de bien réfléchir : « Suce ton pouce en faisant bien attention à ce que tu ressens. Est-ce que c’est ta bouche qui a besoin de ton pouce ? Est-ce que c’est ta bouche qui est plus contente d’avoir le pouce, ou est-ce que c’est ton pouce qui veut être à l’abri dans la bouche ? » C’est extraordinaire de voir comme ils se concentrent sur leurs sensations et y réfléchissent. Ils comprennent que c’est le pouce et non la bouche, ou que c’est la bouche et pas le pouce : et là on peut leur parler, justement, de ce que ce pouce a remplacé le sein maternel, et de ce qu’ils n’ont pas accepté, quand ils étaient petits, d’être privés de téter la maman, alors que, pourtant, ils étaient assez grands pour, à ce moment-là, parler et mettre dans leur bouche tout ce qui venait à leur disposition, mais, voilà, la maman n’a pas pensé qu’ils étaient assez grands pour connaître tout, et plus seulement pour partager avec elle le plaisir d’être au sein, et cette illusion a entretenu ce qui maintenant les agace, mais à quoi ils n’arrivent pas à renoncer dans les moments de fatigue ou de soucis.

Lorsque, au contraire, la séparation du sevrage est progressive et que le plaisir partiel qui lie la bouche au sein est conduit par la mère à se distribuer sur la connaissance successive de la tactilité d’autres objets que l’enfant met à sa bouche, ces objets nommés par elle l’introduisent au langage, et nous assistons alors au fait que l’enfant s’exerce, lorsqu’il est seul et éveillé dans son berceau, à se « parler » à lui-même, en lallations d’abord, puis en modulations de sonorité, comme il a entendu sa mère le faire avec lui et avec d’autres.

Françoise DOLTO, « L’Image inconsciente du corps », éd. Du Seuils, Paris 1984, P. p. 56-57.

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