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Texte à résumer, format Centrale-Supélec (1)

« La grande faute où l’on tombe d’ordinaire dans l’éducation des enfants, c’est qu’on ne prend pas soin d’eux au moment voulu – c’est qu’on ne sait pas former leurs esprits à la discipline, les habituer à plier devant la raison, à l’âge où ils sont le plus dociles, le plus en état de recevoir un pli. Les parents que la nature a sagement disposés à aimer leurs enfants ne sont que trop portés, si la raison ne modère pas leur affection naturellement si forte, à la laisser dégénérer en aveugle tendresse. Ils aiment leurs petits, et c’est leur devoir ; mais trop souvent aussi avec leurs personnes ils aiment leurs défauts. Il ne faut pas contrarier les enfants, disent-ils. Il faut leur permettre d’avoir leur volonté en toutes choses ; et comme dans leur enfance ils ne se rendent guère coupables de grands crimes, leurs parents pensent qu’ils peuvent sans danger tolérer leurs désobéissances, et se faire un jeu de l’aimable malice qui leur paraît convenir à cet âge innocent. Ils se trompent, et c’est avec raison que Solon répondait à un père trop faible, qui ne voulait pas châtier son fils pour un trait de méchanceté, et qui l’excusait en disant : « C’est peu de chose. » – « Assurément, c’est peu de chose que cela : mais c’est une grande chose que l’habitude. »

Le petit mignon doit savoir donner des coups, dire des injures ; il faut lui donner tout ce qu’il demande en criant ; qu’il fasse tout ce qu’il voudra. C’est ainsi que les parents, en flattant, en choyant leurs enfants quand ils sont petits, corrompent les instincts de la nature 3. Ils viendront plus tard se plaindre de l’amertume des eaux qu’ils boivent, et ce sont eux qui en ont empoisonné la source ! En effet, lorsque les enfants ont grandi, et avec eux leurs mauvaises habitudes, lorsqu’ils sont trop âgés pour être dorlotés, et que les parents ne peuvent plus en faire leurs jouets, alors on n’entend plus que des plaintes. Les parents les trouvent indociles et pervers ; ils sont choqués de leur opiniâtreté ; ils sont effrayés de leurs mauvaises inclinations ; mais ne les ont-ils pas eux-mêmes excitées et entretenues ! Alors, et peut-être trop tard, ils voudraient bien pouvoir arracher ces mauvaises herbes qu’ils ont plantées de leurs propres mains, et qui maintenant ont poussé de trop profondes racines pour être aisément extirpées, Si l’enfant, en effet, a été accoutumé à faire sa volonté en toutes choses, du temps où il était en robe, comment être surpris qu’il veuille continuer encore et qu’il défende les droits de sa volonté, une fois qu’il est en culottes? Sans doute, à mesure qu’il se rapproche de l’âge d’homme, ses fautes frappent davantage : de sorte qu’il y a peu de parents assez aveugles pour ne pas les apercevoir, et assez insensibles pour ne pas souffrir des mauvais effets de leur propre indulgence. L’enfant a fait de la gouvernante tout ce qu’il lui a plu, avant de savoir parler ou marcher ; il a régenté ses parents depuis qu’il sait babiller : et maintenant qu’il a grandi, maintenant qu’il est plus fort et plus intelligent qu’il n’était alors, pourquoi voudriez-vous qu’il fût tout d’un coup gêné dans ses caprices et qu’il se courbât sous la volonté d’autrui ? Pourquoi devrait-il, à sept, à quatorze ou à vingt ans, perdre le privilège que l’indulgence de ses parents lui a accordé jusqu’à cet âge? Faites-en l’essai sur un chien, sur un cheval ou sur tout autre animal, et vous verrez s’il est facile de leur faire passer, quand ils sont grands, les mauvaises et tenaces habitudes qu’ils ont contractées étant petits. Et cependant aucun de ces animaux n’est de moitié aussi volontaire, aussi fougueux, aussi avide de conquérir le gouvernement de soi-même et des autres que le sont les créatures humaines.

            Nous sommes généralement assez avisés pour commencer l’éducation des animaux quand ils sont jeunes, pour les discipliner de bonne heure, si nous voulons les employer à notre usage. Il n’y a que nos propres enfants que nous négligeons sur ce point. Après en avoir fait de méchants enfants, nous avons la naïveté d’espérer qu’ils deviendront des hommes bons. S’il faut donner à l’enfant, toutes les fois qu’il en a envie, des raisins et des dragées, plutôt que de laisser le pauvre baby crier ou se désoler, comment une fois grand renoncerait-il à obtenir la même satisfaction, quand ses désirs l’entraîneront vers le vin ou vers les femmes ? Ce sont là les objets naturels des inclinations d’un jeune homme, au même degré que les friandises, qu’il demandait en criant quand il était petit, sont les objets naturels des désirs de l’enfant. Le mal n’est pas d’avoir des désirs appropriés aux goûts et aux idées de chaque âge : le mal est de ne pas savoir soumettre ces désirs aux règles et aux restrictions de la raison. La différence ne consiste pas à avoir ou à ne pas avoir de passions, mais à pouvoir ou non se gouverner, se contrarier soi-même dans la satisfaction de ses passions. Celui qui n’a pas pris l’habitude de soumettre sa volonté à la raison des autres, quand il était jeune, aura quelque peine à se soumettre à sa propre raison, quand il sera à l’âge d’en faire usage. Et quelle espèce d’homme fera un enfant ainsi élevé ? il est aisé de le prévoir.

Ce sont là les méprises ordinaires de ceux-là mêmes qui paraissent avoir le plus grand soin de l’éducation de leurs enfants. Mais si nous observons la manière dont on se comporte communément, nous aurons le droit de nous étonner que dans ce grand dérèglement de mœurs dont tout le monde se plaint, il puisse subsister encore quelque principe de vertu. Je voudrais bien que l’on me citât un défaut que les parents et ceux qui entourent les enfants ne leur enseignent pas, et dont ils ne jettent pas les semences dans leur esprit aussitôt qu’ils sont en état de les recevoir. Je n’entends pas seulement par là les exemples qu’on leur donne, les modèles qu’on leur met sous les yeux, qui sont déjà un encouragement suffisant – mais ce que je veux observer ici, c’est qu’on leur enseigne directement le vice, c’est qu’on les détourne du chemin de la vertu. Avant qu’ils puissent même marcher, on leur inculque des principes de violence de ressentiment, de cruauté. Frappe-moi, pour que je te le rende : c’est une leçon que la plupart des enfants entendent chaque jour ; et l’on s’imagine que cela ne signifie rien, parce que leurs mains n’ont pas encore assez de force pour faire du mal. Mais je le demande, ne corrompt-on pas ainsi leur esprit ? N’est-ce pas la pratique de la force et de la violence qu’on leur met devant les yeux? Et si on leur a appris, dans leur enfance, à frapper, à battre leurs camarades par procuration, pour ainsi dire, si on les a encouragés à se réjouir du mal qu’ils leur ont causé, si on les a habitués à les voir souffrir, ne les a-t-on pas préparés à agir eux-mêmes de la même façon lorsqu’ils seront assez forts pour faire sentir leurs coups et pourront frapper tout de bon? »

John LOCKE (1693), Quelques pensées sur l’éducation, p.p. 30-32.

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