Espace-CPGERésumé/dissertation

Texte à résumer, format, CNC, E3A, CCINP,(7)(Thème: le travail)

De façon quelque peu provocante, je dirai que ce qui s’impose de façon flagrante à notre époque, c’est la souffrance au travail. Elle occupe en effet le monde des arts et du spectacle tout autant que les médias et les institutions politiques. Elle devient omniprésente. Elle est souvent présentée comme un phénomène contemporain, révélateur de notre société, de sa complexité, et de la plus grande fragilité de ses membres.

Le monde du travail intéresse les romanciers, les auteurs de pièces de théâtre, les réalisateurs de films et de documentaires. On observe chez eux un regain d’intérêt frappant depuis une quinzaine d’années pour le travail, qui est associé à la violence, au suicide, au meurtre, à la dépression et la folie. Dans cet univers, le travail prend une tournure tragique ; il devient une question de vie et de mort, où les « héros » se trouvent confrontés à de véritables descentes aux enfers. Surtout, ils sont terriblement seuls. Les médias se sont associés à cette vision en s’emparant, à propos du travail, de notions comme celles de souffrance, burn-out, risques psychosociaux, pénibilités, mal-être et harcèlement. Certaines grandes entreprises se sont rendues tristement célèbres à travers les suicides au travail comme Renault, France Télécom ou La Poste. L’opinion publique est alertée. Les politiques publiques prennent très au sérieux cet aspect du monde du travail : des missions d’enquêtes parlementaires ont été diligentées, des rapports ministériels remis, des lois sur les risques psychosociaux et le harcèlement adoptées, les syndicats se mobilisent dans leurs commissions santé comme dans les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), qui œuvrent dans les entreprises de plus de cinquante salariés. Les observatoires sur le stress se multiplient et les cabinets conseil spécialisés sur la question des RPS coulent de beaux jours… La question du mal-être au travail et des suicides occupe ainsi le devant de la scène.

Les raisons semblent faire consensus, du moins dans le monde scientifique des spécialistes du travail : l’intensification du travail avec des missions et des objectifs de plus en plus exigeants ; le manque de moyens adaptés ; une disponibilité de plus en plus forte exigée par la dictature des e-mails ; la complexification du travail et l’absence de soutien hiérarchique ; une accélération temporelle ; le renouvellement incessant des méthodes et des technologies ; des évaluations pas toujours objectives du travail réalisé…

Comment interpréter ce phénomène dans un pays comme la France où une part non négligeable de la population active bénéficie d’une durée légale du travail de 35 heures, où les directions des grandes entreprises ont édicté nombre de chartes éthiques, de codes déontologiques, affirmé leur volonté de faire entrer la citoyenneté en leur sein et de se comporter en entreprises citoyennes, où près d’un quart des salariés sont fonctionnaires et où le Code du travail reste, pour tous les salariés, encore protecteur comparativement à d’autres pays ? Que nous apprend-il sur plus de trente années de « modernisation » ? Et tout d’abord en quoi est-il nouveau, spécifique ?

Il est difficile d’affirmer qu’aux heures de gloire du taylorisme et du fordisme des Trente Glorieuses, dans les ateliers, sur les chaînes de montage comme dans les pools de dactylo, les ouvriers et employés ne souffraient pas, que les pénibilités, le mal-être, la souffrance au travail ne faisaient pas partie de leur lot quotidien. Pourtant, cette question n’était alors pas brandie, mise en avant comme elle l’est désormais. Certains experts du travail diront qu’autrefois il s’agissait surtout de pénibilités physiques, alors que dominerait actuellement une souffrance essentiellement psychique, mentale, bien plus envahissante. D’autres préciseront encore que le vécu de la souffrance serait d’autant plus important que le rapport au travail a changé et que le niveau des aspirations s’est élevé. Les salariés demanderaient ainsi plus au travail, en attendraient des satisfactions en termes de réalisation de soi bien plus fortes qu’à l’époque antérieure, et cela serait lié à une élévation du niveau scolaire, de la formation et du mode de vie.

Mais les choses sont loin d’être aussi simples. Rien ne permet de prétendre que dans la période précédente, seules les pénibilités physiques étaient à prendre à compte, que les travailleurs n’avaient pas d’aspirations en termes de qualité de travail et ne souffraient pas de la routine imposée, de la répétitivité, de l’horizon étriqué de la norme, de l’autoritarisme des chefs, de l’absence de promotion possible. Les témoignages de l’époque relatent le harcèlement moral et sexuel, les humiliations systématiques, une discipline étouffante, l’enfermement, l’absence de perspectives. Il faut se souvenir que dans certaines usines automobiles, les contremaîtres étaient recrutés parmi les anciens adjudants de l’armée française en Indochine « pour faire suer le burnous ». Les atteintes au psychisme n’étaient pas moins importantes que les atteintes à l’intégrité physique. Ces aspects sont clairement apparus lors des grèves avec occupations d’usines de Mai 68, où les revendications portaient sur la question de la dignité et de la reconnaissance au travail.

Danièle LINHART

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