Texte à résumer (2), format CNC, CCINP, E3A, Thème: Individu et Communauté.
« Pour François De Singly comme pour Robert Castel, il y a d’abord eu une première étape pour l’individualisation qui correspond à la sortie de la société holiste. À la suite de Durkheim, les sociologues ont pris l’habitude de définir les premiers groupements d’êtres humains sous le terme de société holiste (du grec holos qui veut dire qui forme un tout, entier). Dans les communautés tribales archaïques de type holiste, l’individu individualisé n’existe pas, il n’y a pas de liberté individuelle. L’individu n’existe que comme membre d’un groupe ou d’une communauté dont la forme embryonnaire est la famille, puis par extension la parenté, le voisinage et ensuite le village comme communauté de lieu de vie. Dès leur naissance, les individus sont d’abord membres d’un groupe, la communauté est une vie commune au cœur de laquelle chacun occupe la place assignée par le groupe au sein d’un groupe hiérarchisé par l’âge, la force, la sagesse entre autres. Tous les membres d’une communauté sont d’une certaine façon interchangeables, ce sont des individus sans « individualité », c’est ce que Durkheim appellera la solidarité mécanique. En effet, cette solidarité est dite mécanique ou par similitudes car issue des ressemblances entre les individus, elle se met en place de façon quasi mécanique sans qu’elle soit vraiment pensée et réfléchie. Durkheim lui opposera, comme on le verra plus loin, la notion de solidarité organique issue des modifications des conditions de travail et notamment de la division du travail.
Le mot individuum en latin n’apparaît qu’au moyen âge. L’irruption concrète de l’individu date de la Renaissance, soit au XVe siècle. Mais c’est d’abord le christianisme qui implique l’apparition d’un nouveau type d’être humain grâce à une relation personnelle et directe avec Dieu dans un statut « hors du monde », nous allons y revenir. Mais sur cette dynamique propre de l’idée chrétienne d’autonomie personnelle, mais aussi sous l’influence majeure portée par la philosophie de la Réforme dans le monde du protestantisme, notamment au XVIe siècle, vont se greffer la complexité de la vie sociale dans les villes affranchies par les chartes, la diffusion d’innovations techniques telles l’horlogerie et l’imprimerie qui vont favoriser l’esprit critique, le libre marché avec les premières banques et la naissance de la propriété privée qui donne les premières figures de l’individu : le découvreur, le mathématicien, l’artiste, le marchand, le philosophe. On peut d’ailleurs noter que ces figures de l’individu vont se faire plutôt au sommet de la hiérarchie sociale de l’époque. Au sortir de la Réforme et de la Renaissance, le paradigme individualiste a commencé à prendre culturellement forme, mais c’est avec l’époque classique qu’en moins de deux siècles (XVIIe et XVIIIe siècles), on va passer d’un ancien monde holiste à un monde nouveau dont l’individu devient la clé de voûte institutionnelle. Cela se traduit par une innovation sémantique décisive dans le courant du XVIIe siècle, comme nous l’a rappelé le dictionnaire historique de la langue française : on commence à utiliser le mot d’individu pour dire l’être humain, entendu dans sa singularité et dans son universalité. »
D’après Bernard Ennuyer.