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Texte à résumer, format Centrale-Supélec, (thème: l’enfance)

            « On peut distinguer deux âges, deux périodes dans l’enfance : la première, qui se passe presque tout entière dans la famille ou à l’école maternelle, succédané de la famille, comme l’indique son nom; la seconde, qui se passe à l’école primaire, où l’enfant commence à sortir du cercle familial, à s’initier à la vie ambiante. C’est ce qu’on appelle la période de la seconde enfance. C’est de l’éducation morale, à cette période de la vie, que nous aurons principalement à traiter. C’est d’ailleurs l’instant critique pour la formation du caractère moral. Plus tôt, l’enfant est encore trop jeune; sa vie intellectuelle est encore trop rudimentaire et sa vie affective trop pauvre et trop simple; il n’offre pas une matière mentale qui puisse suffire à la constitution des notions et des sentiments relativement complexes qui sont à la base de notre moralité. Les bornes étroitement resserrées de son horizon intellectuel limitent en même temps son horizon moral. Il n’y a de possible, à cette époque, qu’une propédeutique très générale, une initiation préalable à un petit nombre d’idées simples et de sentiments élémentaires. Inversement, au delà de la seconde enfance, c’est-à-dire de l’âge scolaire, si les bases de la morale ne sont pas dès lors constituées, elles ne le sont jamais. A partir de ce moment, tout ce qu’on peut faire, c’est de parachever l’œuvre commencée, en affinant davantage les sentiments, en les intellectualisant, c’est-à-dire en les pénétrant de plus en plus d’intelligence. Mais l’essentiel doit être fait. C’est donc surtout sur cet âge qu’il convient d’avoir les yeux fixés. D’ailleurs, précisément parce qu’il est intermédiaire, ce que nous aurons à en dire pourra facilement être appliqué, mutatis mutandis, aux âges antérieur ou suivant. D’une part, pour bien marquer en quoi doit consister l’éducation morale à ce moment, nous serons amenés nous-mêmes à montrer comment, elle complète l’éducation domestique et la rejoint; de l’autre, pour savoir ce qu’elle est appelée à devenir plus tard, il suffira de la prolonger par la pensée dans l’avenir, en tenant compte des différences d’âge et de milieu.      

Mais cette première détermination n’est pas suffisante. Non seulement je ne parlerai ici, au moins en principe, que de l’éducation morale de la seconde enfance, mais encore je limiterai plus étroitement mon sujet; je traiterai surtout de l’éducation morale de la seconde enfance dans nos écoles publiques; et je vous en ai dit les raisons. C’est que, normalement, les écoles publiques sont, et doivent être le rouage régulateur de l’éducation nationale. D’ailleurs, contrairement à l’opinion trop répandue d’après laquelle l’éducation morale ressortirait avant tout à la famille, j’estime, au contraire, que l’œuvre de l’école, dans le développement moral de l’enfant, peut et doit être de la plus haute importance. Il y a toute une partie de cette culture, et la plus haute, qui ne peut être donnée ailleurs. Car, si la famille peut bien et peut seule éveiller et consolider lès sentiments domestiques nécessaires à la morale et même, plus généralement, ceux qui sont à la base des relations privées les plus simples, elle n’est pas constituée de manière à pouvoir former l’enfant en vue de la vie sociale. Par définition, pour ainsi dire, elle est un organe impropre à une telle fonction. Par conséquent, en prenant l’école pour le centre de notre étude, nous nous plaçons du même coup au point qui doit être regardé comme le centre par excellence de la culture morale à l’âge considéré. Or, nous nous sommes engagés, vis-à-vis dé nous-mêmes, à ne donner dans nos écoles qu’une éducation morale entièrement rationnelle, c’est-à-dire exclusive de tous principes empruntés aux religions révélées. Par là, se trouve nettement déterminé le problème de l’éducation morale tel qu’il se pose pour nous, au moment de l’histoire où nous sommés arrivés.

Je vous ai montré que, non seulement l’œuvre à tenter était possible, mais encore qu’elle était nécessaire, qu’elle était commandée par tout le développement historique. Mais, en même temps, j’ai tenu à vous en faire voir toute la complexité. Ce n’est pas que cette complexité puisse à aucun degré nous décourager. Il est tout naturel, au contraire, qu’une entreprise de cette importance soit difficile ; cela seul est facile qui est médiocre et sans portée. II n’y a donc aucun avantagé à diminuer à nos propres yeux la grandeur de l’œuvre à laquelle nous collaborons, sous prétexte de nous rassurer. Il est plus digne et plus profitable de regarder en face les difficultés qui ne peuvent pas ne pas accompagner une aussi grande transformation Ces difficultés, je vous ai indiqué quelles elles me paraissaient être. En premier lieu, par suite des liens étroits qui se sont établis historiquement entre la morale et la religion, on peut prévoir qu’il existe des éléments essentiels de la morale qui ne se sont jamais exprimés que sous forme religieuse; si, donc, on se borne à retirer, du système traditionnel, tout ce qui est religieux, sans remplacer ce qu’on retire, on s’expose, du même coup, à en retirer des idées et des sentiments proprement moraux. En second lieu, une morale rationnelle ne peut être identique, dans son contenu, à une morale qui s’appuie sur une autre autorité que celle de la raison. Car les progrès du rationalisme ne vont pas sans des progrès parallèles de l’individualisme et, par conséquent, sans un affinement de la sensibilité morale qui nous fait apparaître comme injustes des relations sociales, une répartition des droits et des devoirs qui, jusque-là, ne froissaient pas nos consciences. D’ailleurs, entre l’individualisme et le rationalisme, il n’y a pas seulement développement parallèle, mais le second réagit sur le premier et le stimule. Car la caractéristique de l’injustice, c’est qu’elle n’est pas fondée dans la nature des choses, c’est qu’elle n’est pas fondée en raison. Il est donc inévitable que nous y devenions plus sensibles, dans la mesure où nous devenons plus sensibles aux droits de la raison. Ce n’est pas en vain qu’on provoque un essor du libre examen, qu’on lui confère une autorité nouvelle; car les forces qu’on lui donne ainsi, il né peut pas ne pas les tourner contre des traditions qui ne se maintenaient que dans la mesure où elles étaient soustraites à son action. En entreprenant d’organiser une éducation rationnelle, nous nous trouvons donc en présence de deux sortes, de deux séries de problèmes aussi urgentes l’une que l’autre. Il nous faut veiller à ne pas appauvrir la morale en la rationalisant; il nous faut prévoir les enrichissements qu’elle appelle, par cela seul qu’elle est plus rationnelle, et les préparer. »

Émile DURKHEIM, L’Éducation morale, p.p. 19-22.

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