Étude d’un extrait de la « Supplication »
Étude du passage : « C’est assez peut-être … (il marque une pause) » p.p. 97-99. (La Supplication de Svetlana ALEXIEVITCH)
Situation et intérêt du passage.
Le titre de ce passage est significatif « monologue sur un témoin qui avait mal aux dents et qui a vu Jésus tomber et gémir », le titre sera pris à la fin du passage sous la forme d’une histoire dôle où le gémissement causé par la mal dentaire empêche l’homme de voir le christ ressuscité après la fin de la névralgie[1], peut-être que le mal des biélorusses les empêche de ne sentir la vie dans sa splendeur et sa flamboyance qu’après coup…
Problématique :
Comment une catastrophe mortifère devient-elle un déclencheur d’une vie intensifiée ?
Axes de lecture :
- Le rejaillissement de la vie,
- Le Mal nécessaire,
- La force de l’illusion.
Développement :
Le rejaillissement de la vie :
Dans cette atmosphère de peur causée par un accident nucléaire sans précédent, la vie rejaillit dans sa splendeur et sa flamboyance, elle rejaillit dans ses contradictions et ses multiples facettes. En effet, l’auteure affirme : « la vie ordinaire reprend le dessus. ». Certainement, cette vie qui se reprend s’annonce d’abord dans la joie du corps qui boit, qui joue, qui répond à ses besoins charnels et à ses désirs, car la catastrophe, « dieu invisible » et mystérieux est écrite sur un corps qui souffre pour mourir. Elle est inscrite aussi dans l’âme d’un peuple meurtri par un système totalitaire agonisant. Le bénévolat « j’ai rencontré des femmes qui venaient de leur plein gré ». Le sacrifice « Des centaines de gens qui proposaient bénévolement leur sang ou leur moelle épinière » et d’autres valeurs humaines assiègent la catastrophe et réduisent son terrain pour que la vie s’épanouisse et reprenne ses droits même dans l’arrivisme (jouir de privilèges) et la corruption « le président d’un kolkhoze… », Parce que, selon l’auteure, la vie c’est ce « bordel russe » habituel qui contredit l’ambition d’un homme « un lâche » qui fuit la catastrophe pour vivre : « je veux vivre ».La catastrophe devient une nécessité pour la vie.
Le « Mal nécessaire »
Sans toutefois donner à cette phrase toute la signification leibnizienne, il est clair que S. Alexievitch insiste sur cette nécessité : « il faut toujours surmonter quelques chose. C’est de là que vient notre amour pour les inondations, les incendies, les tempêtes. Nous avons besoin de lieux pour manifester du courage et de l’héroïsme ». Le mal dans ses formes les plus meurtrières : « les inondations, les incendies, les tempêtes, … » devint une voie impériale pour la vraie vie, « le courage » et « l’héroïsme », car la vie conclut l’auteure « est une lutte ». Ainsi le champ de la catastrophe se mue en un lieu de combat contre la peur et le défaitisme, la catastrophe est ce défi nietzschéen : « le coup qui ne me tue pas me rend très fort », elle acquiert aussi selon S. Alexievitch d’autres sens : « Tchernobyl est une catastrophe de la mentalité russe », car selon l’auteure toujours : elle est la mesure de la « vraie nature ». Brièvement, sans rester, toutefois, attachée au catastrophisme, l’auteure élargit sa perspective pour y voir une épreuve, au sens large du terme qui assomme pour faire ressusciter grâce au pouvoir de l’illusion.
Une illusion salvatrice :
L’accident nucléaire qui constitue la plate-forme du roman ne peut acquérir une signification accomplie sans son inscription dans ce « bordel russe » où le mensonge et la vérité sont deux frères jumeaux. En effet, la propagande journalistique « la vie continue.. », « Tchernobyl, lieu d’exploit » jointe à l’idéologie communiste « le culte païen russe » obnubilent toute une mentalité et la paralysent pour ne croire qu’à un seul dieu, le dieu de l’idéologie communiste. Et pourtant, cette croyance est salutaire, elle permet de mieux avaler les couleuvres de la plus grande catastrophe nucléaire : Tchernobyl.
[1] Douleur ressentie sur le trajet d’un nerf sensitif.
Travail réalisé par M. Chmiti CHERKI (professeur agrégé de français (CPGE, Beni-Mellal))