Florilège de citations tirées de Leçon de Roland BARTHES

Leçon est le texte de la leçon inaugurale prononcée par Roland BARTHES, le 07/01/1977 au Collège de France. L’accent y est mis sur le pouvoir qu’exerce la langue, et du langage de manière générale, sur ses usagers et qui réside dans ses structures, ses codes, son lexique, etc. Il s’agit dans ce qui suit d’un ensemble de citations résumant les moments forts de ladite Leçon.

« J’appelle discours de pouvoir tout discours qui engendre la faute, et partant la culpabilité, de celui qui le reçoit. » (P.11)

« Cet objet en quoi s’inscrit le pouvoir, de toute éternité humaine, c’est : le langage- ou pour être plus précis, son expression obligée : la langue. »

« Le langage est une législation, la langue en est le code. Nous ne voyons pas le pouvoir qui est dans la langue, parce que nous oublions que toute langue est un classement, et que tout classement est oppressif : ordo veut dire à la fois répartition et commination. JAKOBSON l’a montré, un idiome se définit moins par ce qu’il permet de dire, que par ce qu’il oblige à dire. » (P.12)

« Ainsi par sa structure même, la langue implique une relation fatale d’aliénation. Parler, et à plus forte raison discourir, ce n’est pas communiquer, comme on le répète trop souvent, c’est assujettir : toute la langue est une rection généralisée. »  (P.13)

« Mais la langue, comme performance de tout langage, n’est ni réactionnaire, ni progressiste ; elle est tout simplement : fasciste ; car le fascisme, ce n’est pas d’empêcher de dire, c’est d’obliger à dire. » (P.14)

« Dès qu’elle est proférée, fût-ce dans l’intimité la plus profonde du sujet, la langue entre au service d’un pouvoir. En elle, immanquablement, deux rubriques se dessinent : l’autorité de l’assertion, la grégarité de la répétition. D’une part, la langue est immédiatement assertive : la négation, le doute, la possibilité, la suspension de jugement requièrent des opérateurs particuliers qui sont eux-mêmes repris dans un jeu de masques langagiers ; ce que les linguistes appellent la modalité n’est jamais que le supplément de la langue, ce par quoi, telle une supplique, j’essaye de fléchir son pouvoir implacable de constatation. D’autre part, les signes dont la langue est faite, les signes n’existent que pour autant qu’ils sont reconnus ; c’est-à-dire pour autant qu’ils se répètent ; le signe est suiviste, grégaire ; en chaque signe dort ce monstre : un stéréotype : je ne puis jamais parler qu’en ramassant ce qui « traîne » dans la langue. Dès lors que j’énonce, ces deux rubriques se rejoignent en moi, je suis à la fois maître et esclave : je ne me contente pas de répéter ce qui a été dit, de me loger confortablement dans la servitude des signes : je dis, j’affirme, j’assène ce que je répète. » (P. p. 14-15)

« Il ne peut donc y avoir de liberté que hors du langage. Malheureusement, le langage humain est sans extérieur : c’est un huis clos » (P.15)

« Mais à nous, qui ne sommes ni des chevaliers de la foi ni des surhommes, il ne reste si je puis dire, qu’à tricher avec la langue, qu’à tricher la langue. Cette tricherie salutaire, cette esquive, ce leurre magnifique, qui permet d’entendre la langue hors-pouvoir, dans la splendeur d’une révolution permanente du langage, je l’appelle pour ma part : littérature.

J’entends par littérature, non un corps ou une suite d’œuvres, ni même un secteur de commerce ou d’enseignement, mais le graphe complexe des traces d’une pratique : la pratique d’écrire. » (P.16)

Afin de se libérer du pouvoir de la langue, il faut opérer dans celle-ci un travail de déplacement et ce abstraction faite de l’engagement politique de l’écrivain. Ainsi, ce qui importe c’est : « le travail de déplacement qu’il exerce sur la langue » (P.17)

« Ces forces de la littérature, je veux en indiquer trois, que je rangerai sous trois concepts grecs : Mathésis, Mimésis, Sémiosis. » (P.17)

« La littérature prend en charge beaucoup de savoirs.» (P.17)

« Si, par je ne sais quel excès de socialisme ou de barbarie, toutes nos disciplines devaient être expulsées de l’enseignement sauf une, c’est la discipline littéraire qui devrait être sauvée, car toutes les sciences sont présentes dans le monument littéraire. » (P.18)

« La littérature, quelles que soient les écoles au nom desquelles elle se déclare, est absolument, catégoriquement réaliste : elle est la réalité, c’est-à-dire la lueur même du réel. » (P.18)

« La science est grossière, la vie est subtile, et c’est pour corriger cette distance que la littérature nous importe. » (P.18)

« Il est possible que cette opposition (des sciences et des lettres) apparaisse un jour comme un mythe historique » (P.19)

« La seconde force de la littérature, c’est sa force de représentation. Depuis les temps anciens jusqu’aux tentatives de l’avant-garde, la littérature s’affaire à représenter quelque chose. Quoi ? Je dirai brutalement : le réel. Le réel n’est pas représentable, et c’est parce que les hommes veulent sans cesse le représenter par des mots, qu’il y a une histoire de la littérature. » (P.p. 21-22)

« On peut dire que la troisième force de  la littérature, sa force proprement sémiotique, c’est de « jouer » les signes plutôt que de les détruire, c’est de les mettre dans une machinerie de langage, dont les crans d’arrêt et les verrous de sûreté ont sauté, bref c’est instituer, au sein même de la langue servile, une véritable hétéronymie des choses. » (P. 28)

«  C’est cette déconstruction de la linguistique que j’appelle, pour ma part, sémiologie. » (P. 30)  

« La sémiologie serait dès lors ce travail qui recueille l’impur de la langue, le rebut de la linguistique, la corruption immédiate du message : rien moins que les désirs, les craintes, les mines, les intimidations, les avances, les tendresses, les protestations, les excuses les agressions, les musiques, dont est faite la langue active. »  (P. 32)

« « La langue travaillée par le pouvoir » : tel été l’objet de cette première sémiologie. » » (P. 33)

« J’appellerais volontiers « sémiologie » le cours des opérations le long duquel il est possible –voire escompté- de jouer du signe comme d’un voile peint, ou encore : d’une fiction. »  (P.p. 39-40)

S’agissant de la méthode que choisit Roland BARHTES pour enseigner la sémiologie, elle emprunte à MALLARME le mot suivant qu’il a proféré lors de la préparation d’une thèse de linguistique :

« Toute méthode est une fiction. Le langage lui est apparu l’instrument de la fiction : il suivra la méthode du langage : le langage se réfléchissant. Enfin, la fiction lui semble être le procédé même de l’esprit humain – c’est elle qui met en jeu toute méthode, et l’homme est réduit à la volonté » (P.p. 41-42)

« Il est un âge où  l’on enseigne ce que l’on sait ; mais il en vient ensuite un autre où l’on enseigne ce qu’ l’on ne sait pas : cela s’appelle : chercher. Vient peut-être maintenant l’âge d’une autre expérience : celle de désapprendre, de laisser travailler le remaniement imprévisible que l’oubli impose à la sédimentation des savoirs, des cultures, des croyances que l’on a traversés. Cette expérience a, je crois, un nom illustre et démodé, que j’oserai prendre ici sans complexe, au carrefour même de son étymologie : Sapientia : nul pouvoir ; un peu de savoir, un peu de sagesse, et le plus de saveur possible. » (P.p. 45-46)

Citations recueillies par ELAMRAOUI Radouane

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