« Un être humain se connaît adéquatement quand il se pense comme une chose singulière soumise aux mêmes nécessités que les autres du monde, celles du déploiement de la Vie universelle […] L’union de l’esprit et du corps qui constitue la réalité humaine dépend ainsi aussi de l’interaction entre le corps humain et toutes les choses du monde.
Un individu conserve sa nature s’il conserve le même rapport entre ses constituants. L’identité d’un individu vient donc de la constance du rapport singulier de mouvement et de repos entre les parties qui le constituent. Cette identité n’est pas statique, mais dynamique. Autrement dit, si notre essence demeure la même tout au long de notre vie (puisqu’elle est l’ensemble de tout ce que nous sommes et pouvons être), notre identité (qui exprime une certaine modalité de la réalisation de notre essence), varie avec le temps en fonction de l’évolution des rapports qui nous constituent, par exemple avec l’acquisition d’une nouvelle faculté, d’une nouvelle connaissance, d’une nouvelle capacité d’action…
La mort survient quand l’individu change de forme, mais sa vie même est faite de multiples changements, transformations, et même parfois métamorphoses qui rendent même parfois difficile à ceux qui le connaissent de le reconnaître. Cependant à travers les changements de son identité existentielle, physique, psychique, sociale, relationnelle, un individu conserve toujours une même identité ontologique, qui est son essence singulière. Un individu peut être affecté selon de nombreuses modalités par les autres corps et changer d’organisation, de propriétés et d’intensité, sans perdre sa nature originelle, quelle que soit sa complexité. À la limite, la nature entière est un individu unique dont les parties varient d’une infinité de façons, mais qui demeure toujours le même selon un ordre éternel que les anciens ont nommé Cosmos.
De la même façon, l’identité humaine n’est pas une entité statique sous la forme d’un moi fixe, mais un soi dynamique et évolutif qu’on peut penser comme infinité de variations au sein d’un ensemble déterminé d’affections d’une même essence, et elle évolue tout au long de la vie en fonction de ses rencontres avec les autres corps et de ses apprentissages. L’identité humaine est donc en perpétuelle création de soi par soi et c’est le travail de l’âme que de chercher à perfectionner le corps et l’esprit pour les amener toujours plus vers une plus haute perfection et un plus profond bonheur.
Le corps humain est en effet très complexe et peut être affecté d’un très grand nombre de modifications. Ce sont ces modifications qui sont à l’origine des perceptions et des affects. Quand Marie pense à Pierre, elle est affectée par des percepts et des affects aussi complexes qu’elle-même, et ces modifications contribuent à transformer son identité personnelle, c’est-à-dire sa personnalité.
Or il est évident que le corps humain a besoin d’un très grand nombre d’autres corps pour se conserver, et il peut également les modifier d’un très grand nombre de façons. »
D’après Bruno Giuliani.