Texte à résumer, format CNC, CCINP, E3A (1) (Thème: le travail)

« Le travail n’a rien à voir avec le fait que les hommes transforment la nature et sont en relation les uns avec les autres de manière active. Aussi longtemps qu’il y aura des hommes, ils construiront des maisons, confectionneront des vêtements, produiront de la nourriture et beaucoup d’autres choses ; ils élèveront des enfants, écriront des livres, discuteront, jardineront, joueront de la musique, etc. Ce fait est banal et va de soi. Ce qui ne va pas de soi, c’est que l’activité humaine tout court, la simple « dépense de force de travail », sans aucun souci de son contenu, tout à fait indépendante des besoins et de la volonté des intéressés, soit érigée en principe abstrait qui régit les rapports sociaux.

Dans les anciennes sociétés agraires, il existait toutes sortes de domination et de rapports de dépendance personnelle, mais pas de dictature de l’abstraction travail. Certes, les activités de transformation de la nature et les rapports sociaux n’étaient pas autodéterminés. Mais ils n’étaient pas non plus soumis à une « dépense abstraite de force de travail », ils s’intégraient dans un ensemble de règles complexes constituées de préceptes religieux, de traditions culturelles et sociales incluant des obligations mutuelles. Chaque activité se faisait en un temps et en un lieu précis : il n’existait pas de forme d’activité abstraitement universelle.

Ce n’est que le système de production marchande moderne, fondé sur la transformation incessante d’énergie humaine en argent érigée en fin en soi, qui a engendré une sphère particulière, dite du travail, isolée de toutes les autres relations et faisant abstraction de tout contenu – une sphère caractérisée par une activité subordonnée, inconditionnelle, séparée, robotisée, coupée du reste de la société et obéissant à une rationalité des fins abstraite, régie par la « logique d’entreprise », au-delà de tout besoin. Dans cette sphère séparée de la vie, le temps cesse d’être vécu de façon active et passive ; il devient une simple matière première qu’il faut exploiter de manière optimale : « Le temps, c’est de l’argent. » Chaque seconde est comptée, chaque pause-pipi est un tracas, chaque brin de causette un crime contre la finalité de la production devenue autonome. Là où l’on travaille, seule de l’énergie abstraite doit être dépensée. La vie est ailleurs – et encore, parce que la cadence du temps de travail s’immisce en tout. Déjà les enfants sont dressés en fonction de la montre pour être « efficaces » un jour, les vacances servent à reconstituer la « force de travail », et même pendant les repas, les fêtes ou l’amour, le tic-tac des secondes résonne dans nos têtes.

Dans la sphère du travail, ce qui compte n’est pas tant ce qui est fait, mais le fait que telle ou telle chose soit faite en tant que telle, car le travail est une fin en soi dans la mesure même où il sert de vecteur à la valorisation du capital-argent, à l’augmentation infinie de l’argent pour l’argent. Le travail est la forme d’activité de cette fin en soi absurde. C’est uniquement pour cela, et non pour des raisons objectives, que tous les produits sont produits en tant que marchandises. Car ils ne représentent l’abstraction argent, dont le contenu est l’abstraction travail, que sous cette forme. Tel est le mécanisme de la machine sociale autonomisée qui tient l’humanité moderne enchaînée.

Et c’est bien pourquoi le contenu de la production importe aussi peu que l’usage des choses produites et leurs conséquences sur la nature et la société. Construire des maisons ou fabriquer des mines antipersonnel, imprimer des livres ou cultiver des tomates transgéniques qui rendent les hommes malades, empoisonner l’air ou « seulement » faire disparaître le goût : tout cela importe peu, tant que, d’une manière ou d’une autre, la marchandise se transforme en argent et l’argent de nouveau en travail. Que la marchandise demande à être utilisée concrètement, fût-ce de manière destructrice, est une question qui n’intéresse absolument pas la rationalité d’entreprise, car pour elle le produit n’a de valeur que s’il est porteur de travail passé, de « travail mort ».

L’accumulation de « travail mort » en tant que capital, représenté sous la forme-argent, est la seule « signification » que le système de production marchande moderne connaisse. « Travail mort » ? Folie métaphysique ! Oui, mais une métaphysique devenue réalité tangible, une folie « objectivée » qui tient cette société dans sa poigne de fer. Dans l’acte sempiternel de la vente et de l’achat, les hommes ne s’échangent pas comme des êtres sociaux conscients d’eux-mêmes, ils ne font qu’exécuter comme des automates sociaux la fin en soi qui leur est imposée. »

Le groupe KRISIS, Manifeste contre le travail, p.p. 11-12

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