Consigne : vous résumerez ce texte en 200 mots, plus ou moins 10%. Barre oblique tous les 50 mots.
« Voici un livre qui aurait aimé célébrer univoquement la vie libre, fécondante, innocente, bienheureuse, mais qui s’ancre pour ce faire dans les expériences les plus ordinairement désespérantes et les plus apparemment impropres au discours philosophique puisque n’étant ni tout à fait siennes, ni tout à fait autres: la maladie, la mort, le deuil, et les reconstructions d’après coup, en bref les bouleversements banals mais douloureux de l’existence. On peut ainsi aisément le ranger parmi les livres que, dans ses périodes de sérénité ou de légèreté, on aimerait n’avoir jamais écrits ou n’avoir jamais relus. Et ce non pour de simples questions d’humeur.
Mais d’abord pour la philosophie. Parce que les grandes philosophies naissent généralement dans les promesses de l’aube, à l’heure où pensée et vie peuvent encore rêver de convoler en noces harmonieuses, loin des affres impures des existences en déclin, loin des frontières de la maladie, de la mort, des amours perdues ou des bonheurs éclatés. Parce que le style du concept répugne profondément à certains marécages trop humides, trop pathologiques, trop particuliers de l’affectivité et de la perception: il ne vise plutôt qu’à la sécheresse, à l’objectivité, à l’universalité, et plus encore à la clarté qui est la condition de toute distinction – car comment donc distinguer, c’est-à-dire philosopher, là où tout est d’avance trop obscur? Et encore parce que, à suivre Spinoza, il y a des perceptions ou des émotions que l’on ne peut connaître adéquatement, notamment le mal, la mort, la maladie, le malheur – en vérité, à chaque fois qu’on en parle, c’est qu’on ne comprend plus, le sentiment ou l’imagination prenant le pas sur la puissance du concept. Il peut même y avoir des expériences que l’on ne peut même pas dire, parce que le langage n’est pas fait pour cela et ne peut produire à leur propos que des énoncés dépourvus de sens: ce qu’on ne peut pas dire, il faut donc le taire, conclurait logiquement Wittgenstein.
Mais ensuite, et peut-être surtout, pour la vie. Parce qu’il y a des vérités basses, viles, qui, puisées dans la déchéance des corps ou des remugles de l’âme, semblent vouées d’avance à la pornographie ou à l’empoisonnement: à les contempler on ne sait plus très bien si l’on est en train de salir la vie, de la rendre obscène, ou de se rendre soi-même malade – malade de compassion, d’angoisse ou de mélancolie. Parce que la vie a donc besoin de masques, de déguisements et d’omissions si elle veut se faire célébration d’elle-même et non auto-avilissement – même face à l’ami le plus proche, dit Nietzsche, «il ne faut pas que tu aies volonté de voir toute chose ». Et plus encore parce que dès que le concept s’empare des vérités les plus intenses, c’est le signe qu’une «forme de vie a vieilli», s’est affadie, a perdu de sa spontanéité et de son intensité propres pour passer du côté de la représentation. Certes, à suivre Hegel jusqu’au bout, cette perte du sentiment de la vie est la condition pour accéder à une vie plus haute, celle de l’Esprit et du concept conçu comme «ivresse bachique du vrai». Mais dans une telle vie de l’esprit et dans une telle ivresse il n’y a justement plus aucune idée de la violence et des catastrophes de la vie sensible. Du même coup, il peut y avoir quelque chose d’insupportable à peindre conceptuellement les douleurs, les terreurs ou les faiblesses les plus intimes. Un tel geste semble faussé d’avance: on ne peut conceptualiser le cri que lorsqu’on ne crie plus, on ne peut conceptualiser le scandale affectif que lorsqu’on ne l’éprouve plus. Et l’on passe alors de l’impudeur à la falsification: on prétendait dire la vie et on n’en énonce plus qu’une version embaumée, pétrifiée, deux fois morte; on prétendait rendre hommage à des personnes et des événements singuliers et on les travestit en généralités; on prétendait au moins extraire de ces généralités une attention universelle et sage au vivant, mais on travestit tout autant cette universalité et cette sagesse en les ancrant dans des particularités dont elles ne parviennent pas à s’extraire.
En bref, on a l’impression de perdre sur tous les tableaux: l’élan de la vie immédiate et la sagesse de la vie réfléchie. Ce n’est plus de la philosophie de la vie, c’est du vampirisme faussement réflexif: on vide de toute vie propre et l’affect immédiatement singulier et l’universalité patiente du concept.
Et pourtant on a tort, il faut y aller. […]
Il faut bien descendre un jour dans ces souterrains impurs, impropres, obscurs, au moins quand on est philosophe, et même si la plupart des philosophes n’y vont pas. Ordinairement, la philosophie pérenne refuse en effet presque toujours, et très légitimement à première vue, de s’enfoncer dans des zones d’émotivité trop fortes et trop communes. Elle s’y refuse de quatre manières au moins, qui ne sont peut-être pas propres à quatre types de philosophie mais à toute philosophie.
Soit en renonçant d’emblée à toute négativité existentielle. Il n’y a pas en vérité de souffrance, de tristesse, de maladie, de mort, en bref de non-être, il n’y a que la vie pure, pleine, joyeuse, affirmative que nous ne savons simplement pas toujours penser. C’est là le propre d’un certain matérialisme qui court d’Épicure à Spinoza: la mort n’est rien pour nous, la souffrance est aisée à surmonter, nous ne sommes que des modes ou des parties d’une nature éternelle et incorruptible. Mais c’est aussi bien le propre d’une certaine pensée religieuse: l’âme est éternelle, la souffrance est une épreuve salutaire, tout le mal participe d’un certain plan divin, et malheur à qui s’en scandalise ou s’y attarde trop longuement – le Seigneur se moque de nos petites misères privées.
Soit, à rebours, en élevant la négativité au rang de moteur originel de l’existence jusqu’au point où il n’est plus besoin de rentrer dans les détails. On dira: «la souffrance enseigne», «la mort est un maître», «l’interdit est la condition du désir», sans avoir besoin de s’enfoncer trop avant dans la description précise des souffrances concrètes, des morts réelles, des interdits spécifiques qu’impliquent de telles propositions. Et là encore une certaine pensée matérialiste comme une certaine pensée religieuse peuvent s’y retrouver: il n’y a pas besoin de croire ou de ne pas croire en Dieu pour reconnaître la fécondité paradoxale ou dialectique de certaines expériences négatives, Hegel constituant peut-être le sommet d’une telle pensée où athées comme croyants peuvent se retrouver pour admettre la nécessité à la fois de tout dire de la puissance et de la nécessité du négatif dans son principe et de n’en rien dire dans ses formes particulières. La mort ne s’immisce dans la vie qu’à la condition de demeurer majuscule et de cesser d’être la mort d’un tel ou d’une telle.
Soit en poussant les expériences ordinaires du négatif jusqu’au point où elles deviennent exceptionnelles, considérées non plus comme des expériences banales, figurées, situables, mais comme des expériences limites, innommables, infigurables, insituables. Là encore cependant, ce n’est déjà plus telle mort qu’il faut penser, trop subjective, trop factice, mais la mort tout court, «la mort en instance1 Þ», l’être-pour-la-mort qui structure l’existence du Dasein, ou la mort hyperbolique qui régnèrent à Auschwitz ou à la Kolyma; non pas telle souffrance mais la souffrance originelle, la déhiscence primordiale de l’être-au-monde ou la fatigue ontologique d’être soi. »
Pierre ZAOUI, La Traversée des catastrophes, Philosophie pour le meilleur et pour le pire, Éditions du Seuil, Paris, octobre 2010, p. p. 09-14.
Proposition de résumé
Ce livre n’est digne ni d’écriture ni de relecture et ce non par fantaisie mais pour des raisons philosophiques et d’autres relatives à la vie. Les premières se résument au fait que, généralement, les philosophies découlent d’un mariage heureux entre une réflexion et une vie dénuée/ de désolation, que le concept est réticent au subjectif et cible l’objectif, que, selon SPINOZA, sentiment et imagination empêchent l’appréhension du mal voire qu’il existe même des choses indicibles. Les secondes résident dans le fait que certaines réalités désagréables rabaissent la vie, que la vie nécessite le/ camouflage pour échapper à son auto-abaissement voire que les choses tenues par le concept sont déjà vidées de leur force. Aussi, d’après HEGEL, le détachement marqué par rapport à une telle vie se paye de l’extase spirituelle toutefois il vide la vie de ce qu’elle a de/ bouleversant. En même temps, le recours au concept dénature le mal.
La philosophie éternelle ne plonge pas dans ces bas-fonds de l’existence car ou on nie d’un bloc tout ce qui est négation de la vie ou, au contraire, on en fait, dans l’absolu, l’origine/ de l’existence en sacrifiant la détresse réelle ou on hisse le trivial au rang de l’extraordinaire.
218 mots.