Synthèse de lecture comparative des œuvres au programme de l’année 2025-2026, thème: Expériences de la nature, autour de l’axe: L’observation comme moyen de connaissance

Les trois textes au programme à savoir Le Mur invisible de Marlen Haushofer, Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne et La Connaissance de la vie de Georges Canguilhem tentent d’appréhender la nature, d’accéder à la compréhension et partant à la connaissance de cette dernière. Il s’agit donc, dans les textes en question, de définir le rapport de l’homme à son environnement naturel. Lequel rapport passe avant tout par l’observation et ce à partir du moment où le premier contact avec le monde naturel environnant se traduit par regard. Ainsi, l’on peut dire que le regard représente la première forme de l’expérience humaine de la nature. Il faut dire que l’homme commence d’abord par percevoir l’environnement naturel moyennant ses cinq sens et en particulier le sens de la vue. En un mot, l’expérience de la nature se veut une expérience sensorielle axée sur le regard. Notre propos consiste, ici, à examiner, dans les trois œuvres précitées, le rôle que revêt l’observation, en tant que forme d’expérience de la nature, dans la connaissance de la nature. Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne L’observation est moyen de connaissance de la nature comme en témoigne l’expérience des trois personnages sauvés par le capitaine Nemo et l’équipage du sous-marin le Nautilus suite au naufrage de leur navire : Abraham Lincoln et ce à partir du moment où la visée de leur aventure sous-marine et bel et bien heuristique comme l’annonce Nemo au professeur Aronnax dans ces termes : « C’est aujourd’hui 8 novembre, à midi, que commence notre voyage d’exploration sous les eaux. » (P, 138). En effet, l’harponneur Ned Land, le domestique Conseil et surtout Aronnax, professeur de Zoologie et narrateur, découvrent l’univers sous-marin par le regard. A ce propos, il faut souligner que l’expérience des trois personnages dans le milieu aquatique, à bord du Nautilus, se réduit à la seule perception visuelle. Nombreux sont les chapitres où lesdits personnages explorent l’élément aquatique et les vivants qui y évoluent. L’on peut en évoquer le chapitre XIV de la Première partie qui est for révélateur à ce propos. Pratiquement, le narrateur nous y décrit une atmosphère générale propice à l’observation comme suit : « La mer était magnifique, le ciel pur. À peine si le long véhicule ressentait les larges ondulations de l’océan. Une légère brise de l’est ridait la surface des eaux. L’horizon, dégagé de brumes, se prêtait aux meilleurs observations. » (P. 136) Compte tenu de ces conditions marquées par la clarté du ciel, et l’aspect calme de la mer, l’on peut dire que la nature est favorable à l’observation et qu’elle s’expose au regard de l’observateur. Il faut dire que ces circonstances se veulent propices à l’étude des vivants sous-marins comme le confirme cette invitation du professeur Pierre Aronnax à l’intention de son domestique Conseil : « -Étonne-toi, mon ami, et regarde, car, pour un classificateur de ta force, il y a de quoi travailler ici. » (P. 140) En effet, le professeur invite, ici, son domestique à soumettre, selon sa compétence de bon classificateur, les êtres vivants de l’élément aquatique à une classification en se basant sur l’observation. Conséquemment, cette dernière ne se réduit pas, ici, à une simple perception passive, bien au contraire, elle est un procédé permettant de construire une connaissance consistant à identifier les différents vivants aquatiques et à les organiser selon les critères suivants : classe, famille, genre et espèces. Chose à laquelle procède Conseil comme nous le rapporte Aronnax dans ces termes : « Le brave garçon, penché sur les vitrines, murmurait déjà des mots de la langue des naturalistes : classe des Gastéropodes, famille des Buccinoïdes, genre des Porcelaines, espèces des Cyprœa Madagacariensis, etc. » (P. 140) L’étude que mène Conseil, ici, se fait à partir du salon du Nautilus et à travers les vitres de celui-ci, lesquelles donnent sur l’espace sous-marin et les créatures qui y vivent. Il s’ensuit alors que la connaissance que construisent les personnages se trouvant à l’intérieur du sous-marin repose exclusivement sur l’observation. Chose qui s’affirmera plus loin quand le narrateur exprimera la difficulté voire l’impossibilité de représenter, en dépit de sa clarté, le spectacle que la nature sous-marine donne à voir : « La mer était distinctement dans un rayon d’un mille autour du Nautilus. Quel spectacle ! Quelle plume le pourrait décrire ! qui saurait peindre les effets de la lumière à travers ces nappes transparentes. » (p. 141) Disons que ce paysage ne peut être saisi que moyennant le regard. Toutefois, si l’observation est outil de connaissance de la nature sous-marine, elle peut également induire l’observateur en erreur. Dans ce sens, Aronnax reconnaît que l’aspect extérieur du Nautilus trompe l’œil par sa ressemblance à un créature marine : « Je remarquai que ses plaques de tôle, imbriquées légèrement, ressemblaient aux écailles qui revêtent le corps des grands reptiles terrestres. Je m’expliquai donc très naturellement que, malgré les meilleures lunettes, ce bateau eût toujours été pris pour un animal marin. » (P. 136) Force donc est de constater que l’observation n’est pas un moyen fiable de connaissance ou du moins ses résultats demeurent douteux. Le Mur invisible de Marlen Haushofer Si l’observation se veut, dans le roman de Jules Verne, un outil de connaissance, entre autres, elle est, dans celui de Marlen Haushofer, impossible à pratiquer en raison de l’invisibilité de l’objet à observer. C’est ce à quoi nous assistons dès les premières pages du roman où la narratrice ne parvient pas à percevoir par le sens de la vue l’obstacle qu’elle appellera plus loin « mur » : « Je me relevai trois fois pour vérifier qu’à trois mètres de moi existait vraiment quelque chose d’invisible, de lisse et de froid, qui m’empêchait de continuer mon chemin. » (P. 18) En outre, la narratrice trouve absurde cet écueil, qui est saisissable par le sens du toucher qui permet de découvrir son caractère « lisse et froid », et qui échappe, bizarrement, au regard : « N’importe quoi d’un peu aberrant m’aurait paru facile à accepter que cette terrible chose invisible. » (P. 18) Face à cet obstacle imperceptible, l’observation ne peut rien, elle n’est plus fonctionnelle, c’est plutôt sa suspension qui permet d’identifier l’obstacle en question. Ainsi, la narratrice essaye le sens du toucher : « Je compris qu’il me fallait entreprendre quelque chose et j’ordonnais à Lynx de rester assis. Puis j’allais lentement vers l’obstacle, les mains tendues en avant, et je continuai à le suivre en tâtonnant jusqu’à l’endroit où commençait le premier rocher de la gorge. » (P. 19) Autrement dit, dans ses tentatives de découverte de la nature de l’écueil qui a surgi inopinément dans l’environnement naturel où elle est condamnée de vivre, la narratrice suspend le sens de la vue et recourt à celui du toucher comme le montre l’emploi du verbe « tâtonner », lequel est associé à l’obscurité qui neutralise le regard, sauf qu’ici, c’est la narratrice qui annule/abandonne la perception visuelle pour un outil plus adéquat et efficace à savoir le toucher. En gros, c’est l’annulation de l’observation qui rendrait possible l’identification du mur, lequel n’est pas saisissable par le regard. En outre, à défaut d’être un outil de connaissance, l’observation fonctionne, dans Le Mur invisible, comme moyen de reconnaissance. En fait, en découvrant un monde étrange et mystérieux, elle tente, pour se rassurer, de retrouver des endroits familiers qui étaient déjà là et qu’elle avait déjà connus telle « La première petite ferme, une simple maison de paysan, [qui] se trouvait juste après le premier tournant de la route. En traversant le ruisseau et en montant un peu, il devait être possible de l’apercevoir. » (p. 20) C’est dire que si la narratrice parvient à situer exactement ce repère, à savoir la petite ferme, pour l’avoir connu, il s’agit, pour elle, à présent, de le reconnaître moyennant la perception visuelle. Chose qui ne tardera pas à se produire comme nous l’apprend la même narratrice dans ces termes : « J’aperçus enfin la petite maison. Elle était là, tranquille dans la lumière du soleil : un paisible tableau tellement familier. » (p. 20) La Connaissance de la vie de Georges Canguilhem Dans La Connaissance de la vie, Georges Canguilhem critique l’observation et ce pour deux raisons. D’une part, car elle crée chez l’homme un sentiment de supériorité par rapport aux autres vivants comme le soulignent les questions rhétoriques suivantes : « « Quelle lumière sommes-nous donc assurés de contempler pour déclarer tous les autres yeux que ceux de l’homme ? Quelle signification sommes-nous donc certains d’avoir donné à la vie en nous pour déclarer stupides tous autres comportements que nos gestes ? » (P. 13) C’est dire que le regard que porte l’homme sur les autres créatures est trompeur à partir du moment où il rabaisse ces dernières en en jugeant les conduites « stupides » et l’empêche par là même d’observer leur intelligence pratique consistant à construire ingénieusement leurs abris comme c’est bien le cas de l’oiseau et de l’araignée. Voire, l’observation constitue, à certains égards, un obstacle épistémologique. En effet, les observations résultant d’expériences faites sur d’autres vivants et appliquées par extrapolation à l’être humain représentent un obstacle entravant l’accès à une connaissance vraie de la nature humaine. Toutefois, et afin de contourner ledit obstacle, Georges Canguilhem propose une issue à ce problème dans ces termes : « Il faudrait, en un sens, expérimenter sur l’homme pour éviter l’écueil, précédemment signalé, d’une extrapolation d’observations faites sur des animaux de telle ou telle espèce. » (P. 43) Canguilhem appelle ainsi à expérimenter directement sur l’homme et faire de celui-ci à la fois un sujet et un objet d’expérience et d’observation, c’est là une condition sine qua non pour construire une connaissance de l’homme comme en témoigne le propos suivant de Canguilhem : « le primat de l’anthropologie n’est pas une forme d’anthropomorphisme, mais une condition de l’anthropogénèse. » (P. 43) Autrement dit, l’anthropologie comme étant l’étude qui a comme objet l’être humain ne devrait pas se réduire à une forme d’anthropomorphise consistant à passer par les autres créatures pour parvenir à établir une connaissance de l’homme, mais plutôt à renseigner sur l’origine de ce dernier et sur son évolution en donnant lieu une anthropogénèse visant de construire une connaissance de l’homme à partir de l’étude directe de ce dernier en en faisant, à la fois, le point de départ et d’aboutissement de l’expérience.

Synthèse de lecture comparative des œuvres au programme de l’année 2025-2026, thème: Expériences de la nature, autour de l’axe: L’observation comme moyen de connaissance

Radouane EL AMRAOUI

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